1. Le parcours du combattant
a) " Struggle for life " dès le sein maternel
(Genèse 25, 19-34) :
Isaac avait invoqué l'Eternel. Sa femme Rébecca, était stérile. Il se bat à sa
manière pour avoir une postérité, en demandant l'aide divine. Vous connaissez la suite
: Sa femme devient enceinte, et " les enfants se heurtent dans son sein "
(v.22). Deux peuples sortiront de ses entrailles ; l'un plus fort que l'autre. Jacob et
Esaü devront chacun trouver sa place au cur même de leur gémellité, déjà dans
ce lieu confortable mais un peu étroit qu'est le ventre maternel, puis plus tard dans
leur environnement géographique, familial et culturel. Chacun devra apprendre à
s'affirmer par rapport à soi-même et par rapport à l'autre.
Esaü le roux, habile chasseur, homme de la nature et de la campagne, plutôt impulsif,
chouchou du père, car il aime le gibier (pas tous les hommes de la Bible sont
végétariens) ; et Jacob : Yacob, qui " " tient par le talon " , et qui
dans le sens figuré du nom " supplante " ! Plus homme tranquille, d'intérieur,
mais calculateur, préféré de sa maman (bien des conflits en perspective, de la
rivalité en vue). Leur relation fraternelle sera souvent fratricide, avec chez eux aussi
toutes ces histoires de famille (souvent secrètes et cachées, qui vous empoisonnent une
vie personnelle et collective) !
Notez-aussi que cela hypothéquera aussi singulièrement l'histoire de la descendance :
quand les branches pourries d'un arbre généalogique ne sont pas soignées et élaguées,
l'histoire tend à balbutier et à se répéter !
b) Les armes du faible, l'usurpation et la manipulation (Gn
25, 29-34) (Gn 27) :
Dans le premier épisode (Gn 25, 29-34), nous voyons un drôle d'échange : Esaü qui est
fatigué, et qui demande la soupe de Jacob. Celui-ci en profite pour faire une bonne
affaire : ta soupe (satisfaction immédiate de mon appétit physique ), contre le droit
d'aînesse (satisfaction de mon appétit de puissance).
Dans le deuxième (usurpation de la bénédiction, Gn 27), qui se situe plus tard, Isaac
est devenu vieux, demandant à Esaü de lui chasser du gibier pour lui donner sa
bénédiction, et l'introduire officiellement dans la succession. Rébecca manigance un
scénario " diabolique " : Jacob se met les habits de peau de son frère (il
était mal dans sa peau), et usurpe la bénédiction paternelle par substitution, avec la
complicité maternelle. La bénédiction promise se transforme ainsi en malédiction, avec
la séparation inévitable, le désir de vengeance d'un côté, la peur de la rétribution
de l'autre, et entre les deux une relation mortifère, presque un point de non-retour,
puisque l'un devra fuir devant l'autre!
Ces deux événements aboutissent à l'évincement durable
d'Esaü, avec deux aspects majeurs :
1) la plus grosse part du gâteau de l'héritage
lui échappe (il a trop géré le court terme, l'immédiateté de la satisfaction des
besoins pulsionnels), et il s'est trop fié à ses instincts au détriment de la raison ;
2) il perd du même coup la prépondérance
sociale et religieuse de son rôle d'aîné (la satisfaction matérielle a pris le dessous
sur la recherche spirituelle et existentielle).
Jacob, lui, aura beaucoup de mal à se positionner par rapport au passé personnel et
familial (lourd à porter) ; au présent (vécu non comme une présence mais comme une
menace perpétuelle ; plus comme une jungle à affronter que comme un jardin à cultiver)
; et à l'avenir (perçu comme un long tunnel à l'issue incertaine). La vraie sérénité
et l'apaisement demanderont encore un cheminement douloureux, avec l'exigence d'assumer
les erreurs du passé, dans une configuration d'échanges de pardon !
c) L'arroseur arrosé (Gn 29, 15-30) :
Jacob travaille chez son oncle Laban, qui lui promet sa fille Rachel, en échange de 7 ans
de travail. La Bible ne manque pas d'humour, car c'est maintenant l'usurpateur qui est
trompé : les sept premières années écoulées, Jacob obtient la permission de se marier
(puisqu'à l'époque il la fallait), mais c'est avec l'aînée, Léa. Il rempile donc
encore pour sept ans, pour effacer complètement sa dette et devenir propriétaire de son
cheptel, et il obtient la main de Rachel ; Il restera donc en tout 20 ans à Haran : Léa
lui donne six fils et une fille (Dinah), alors que Rachel mit au monde un fils (Joseph),
sans compter les enfants que Jacob engendra par l'intermédiaire de Bilhah et Zilpah, les
servantes de Léa et de Rachel. Ces dernières enfantèrent chacune deux fils !
Jacob géra bien les troupeaux de son beau-père, et ses succès de gestionnaire lui
valurent un départ tumultueux, dans la fuite. Le beau-père agit par la ruse pour le
contraindre à rester. Jacob s'enfuit avec toute sa maisonnée, et à cette occasion
Rachel prit avec elle les statuettes qui protégeaient la maison de son père
(superstition). Laban pourchasse les fuyards, voulant récupérer ce symbole de puissance
et de protection, et exprimant sa frustration de n'avoir pu faire ses adieux; Jacob et lui
passent finaleement un pacte " de non agression " et érigent un mémorial à
Galed ou Mitspah (Gn 31).
2. Jacob l'usurpateur devient Israël, le lutteur avec Dieu
(Gn 32, 23-32)
Jacob, apprenant qu'Esaü venait à sa rencontre avec des intentions belliqueuses,
accompagné de tout son clan familial, commença à devenir nerveux. Pour apaiser son
frère, qui avait encore en lui bien des motifs de vengeance, Jacob lui fit envoyer des
présents de valeur (on essaie de se racheter comme on peut). Esaü se montrera amical,
mais Jacob (devenu Israël), préférera habiter dans des territoires différents, sur des
terres moins hostiles : si pour tourner une page il faut aller ailleurs, pourquoi pas !
Durant la nuit précédant leur rencontre, Jacob est engagé dans un combat singulier : il
lutte jusqu'au matin avec un homme, qui refuse de lui dire son nom : la lutte au corps à
corps est la distance la plus proche qu'on puisse établir entre deux êtres : quand ce
n'est pas la distance de l'amour, c'est celle du combat au corps à corps. Refuser de
donner son nom était refuser de se livrer, de décliner son identité. C'est donc la
proximité la plus intime, et en même temps le balisage relationnel de l'espace
territorial (une frontière qui marque les territoires respectifs) : en même temps une
ouverture, et une fermeture : comme la porte qui peut ouvrir sur le néant, ou sur quelque
chose de nouveau et de constructif ! Dieu se révèle (Deus revelatus), mais en même
temps se cache (Deus absconditus)!
Cet homme (qui en fait est un ange envoyé par Dieu), termine le combat, en démettant la
hanche de celui qui maintenant s'appellera Israël. On ne sort jamais indemne, en tout cas
jamais comme avant du corps à corps avec Dieu : il en restera une trace dans la chair de
Jacob : cette hanche démise met bien en scène la vie boiteuse qu'il avait menée
jusqu'à présent !
Jacob est " déclaré vainqueur aux points ". C'est en tout cas le témoignage
du prophète Osée, 12, 4-5, qui résume en quelques mots la vie de notre héros : "
Dans le sein maternel, Jacob saisit son frère par le talon, et dans l'âge mûr, il lutta
avec Dieu. Il lutta avec un ange, et fut vainqueur. Il pleura et lui demanda grâce. Jacob
l'ayant trouvé à Bethel
et c'est là que Dieu nous a parlé ". Il est aussi
touché dans son mode de pensée et dans son comportement : maintenant lui importe surtout
la bénédiction de Dieu qui le légitime dans sa nouvelle vie ; l'héritage qui compte
est celui de tous les fruits de l'Esprit, et plus tellement l'approbation des hommes et le
côté matériel !
Il fait désormais partie de la lignée des grands hommes de foi : il est considéré
comme l'ancêtre des douze tribus, d'un peuple qui portera le même nom que lui, et dont
l'histoire collective est à l'image de la sienne, avec des hauts et des bas, des côtés
lumière et des côtés ombres. Dans le N.T. il est cité en compagnie d'Abraham et
d'Isaac comme l'un de ceux qui est éternellement béni : dans Matthieu 8, 11, Jésus dit
: "
je vous le déclare, plusieurs viendront de l'Occident et se mettront à
table avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux
". Il est aussi
présenté comme un des patriarches au bénéfice de l'alliance avec Dieu, comme un
véritable héros de la foi, dans Hébreux 11, 9, et 20 : "
c'est par la foi
qu'Abraham vint s'établir dans la terre promise
Jacob a eu raison d'insister : Dieu, bénis-moi, même si tu ne m'as pas dit ton nom, je
me place maintenant sous ta protection. Il faut insister, toujours insister : même si
vous avez l'impression que Dieu ne vous décline pas son nom comme vous l'entendez (il est
trop grand pour rentrer dans nos définitions) ; mais son amour n'est jamais trop faible
pour s'exprimer, et son bras trop court pour agir en notre faveur : "
Je ne te
laisserai point partir sans que tu me bénisses "
Jean-Michel MARTIN
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