Une quête propre à l'homme est exprimée dans Psaume 4, verset 7 : " Beaucoup
d'hommes disent : Qui nous fera voir le bonheur ? "
Le psalmiste voit en Dieu la réponse à sa recherche fondamentale: " Tu mets
dans mon cur plus de joie qu'au temps où abondent leur froment et leur vin nouveau.
Aussitôt couché, je m'endors en paix, car toi seul, ô Eternel, tu me fais habiter en
sécurité " (Psaume 4, 8-9).
Les tentatives de définition du bonheur ne manquent pas (Christophe ANDRE, Vivre
heureux. Psychologie du bonheur, Odile Jacob, 2003, Paris, p.15ss) : parmi les
éléments constitutifs du bonheur tellement recherché, figurent
- la satisfaction des besoins, avec le plaisir défini comme l'ensemble des
sensations
agréables liées à la satisfaction de nos besoins fondamentaux, à savoir
la nourriture,
la sexualité, le confort, l'activité physique ;
- la joie, émotion intense et positive, qui emplit toute la personne, l'enfant qui
reçoit
un cadeau, le scientifique qui fait une découverte importante, l'ami qui
retrouve un
proche. Dans ce sens, la joie est une réaction à un événement de
l'environnement,
elle a le plus souvent une cause extérieure. Or, l'un des mystères du
bonheur est
qu'il peut parfois survenir du plus profond de l'être intérieur. Certaines
joies peuvent
être malsaines, comme la vengeance (la Schadenfreude en allemand, la joie de
voir son adversaire à terre..).
- la béatitude, cette sphère intense, cet état psychologique si fort que l'on
sort de soi,
que l'on est comme transcendé (enthousiaste, habité par Dieu,
comme dans
l'expérience mystique)
D'un point de vue plus psychologique et existentiel, nous pouvons dire que le bonheur
c'est vivre pleinement la satisfaction d'avoir atteint les objectifs que je m'étais
fixés, dans une dynamique du succès qui surmonte les échecs (ayant intégré la
frustration et/ou la désillusion qui s'en suivait).
C'est aussi un état de sérénité, le sentiment d'un élan agissant, la prise de
conscience affective de l'unité établie entre l'ordre de mes valeurs et l'ordre de la
nature, harmonie intérieure et extérieure.
C'est une expérience qualitative unissant la satisfaction et la signification (Robert
MISRAHI, Le bonheur, Hatier, Paris, 1994), la densité d'une présence à soi en
accord avec elle-même et la cohérence d'un sens voulu et réalisé: elle implique la
densité d'un plaisir spirituel et existentiel, et la transparence d'une conscience
réfléchie adhérent aux choix effectués.
Pour Alain DELOURME, Le bonheur possible, " Psychologie dynamique ",
Retz, Paris, 1999, le bonheur est l'expérience de soi-même comme sujet libre, désirant
et responsable de ses choix existentiels: ce vécu, qui se stabilise progressivement, est
une joie substantielle et significative, qui concerne l'existence entière avec ses
ramifications affectives, réflexives, poétiques, spirituelles. Il implique la
reconnaissance de ses propres contradictions et des complexités.
C'est une construction qui s'étaye sur deux piliers principaux: le partage affectif
(désir d'aimer et d'être aimé) et la quête de sens (le désir de comprendre et de
connaître). Il se fonde également sur la créativité dans l'organisation de sa vie
(désir d'inventer) et sur l'engagement (professionnel, associatif: désir de participer)
au niveau du passé, du présent et du futur.
La quête de sens est possible,
1) par le travail thérapeutique sur soi: avec l'aide d'un professionnel, chercher à
identifier les aspects cachés ou méconnus de soi, à intégrer les
souvenirs douloureux,
à défaire les nuds et à tirer des leçons;
2) l'utilisation de la pensée réflexive: analyser, élaborer et rendre intelligible les
questions posées par la vie même, formuler des questionnements
clairs,
interrogations existentielles qui débouchent sur un positionnement
personnel
et un engagement dans une activité signifiante, porteuse de
signification qui
met en marche l'être profond (pas tellement l'être apparent ou
réel);
3) la quête spirituelle: développement de la foi, du contact personnel avec Dieu,
qui donne la vie et un sens à la vie, l'aiguisement de la conscience
morale,
la fréquentation de sa Parole qui dit dans 1 Corinthiens 13:4: "...l'amour
est
patient ..." (makrothumos: se tient loin (macro) de la
colère (thumos).
Quand nous parlons de moments de bonheur, nous désignons les instants, à la fois
ordinaires et délicieux, que nous offre notre quotidien. Il existe des moments plus
favorables (ce que nous appelons les kaïroi) à la survenue du bonheur que d'autres. Ils
sont presque toujours issus de trois familles de situations : les moments d'échanges (se
parler, s'écrire, se téléphoner
) ; les moments de communion (avec la nature ou
l'art) ou de sensations (gastronomiques ou physiques) ; les moments de réalisation (dans
le travail ou une activité que l'on aime).
Certaines personnes ont peur du bonheur, car il risque de disparaître ; d'autres disent
qu'elles " ne sont pas faites pour le bonheur ". En psychogénéalogie, il faut
parfois contester la conviction d'un malheur inévitable et d'un bonheur interdit, ce qui
consiste à contester la parole des parents, grands-parents, ou à prendre le contre-pied
de l'église, quand elle interdisait de rechercher le bonheur ici-bas, en faveur du
paradis.
Les personnes frappées par un grand malheur (mort d'un proche, maladie, handicap,
souffrance), peuvent avancer en quatre étapes avec l'aide d'un accompagnement :
- tout d'abord, la vie qui continue et le bonheur des autres accroissent son
sentiment de malheur ;
- puis elle commence à accepter la vie qui continue, et ce bonheur possible
pour les autres ;
- peu à peu, le quotidien se remet à lui procurer de tout petits bonheurs ;
- et enfin, le bonheur lui redevient possible, par moments, même s'il
apparaît
définitivement d'une autre nature, plus grave et moins
léger, plus proche de la
paix que de la joie.
La résilience signifie la possibilité d'une reconstruction, d'une renaissance,
la sortie possible des ténèbres.
On peut faire une comparaison entre la psychologie et la météo : notre tempérament
se traduit au quotidien par nos humeurs, qui en sont l'expression. Nos humeurs
correspondent aux mouvements ponctuels du temps (pendant un ou plusieurs jours, il pleut,
ou il fait beau), tandis que notre tempérament correspond au climat habituel (tempéré
ou tropical, méditerranéen ou continental
). Certains ont un heureux tempérament,
d'autres plus névrotique
.
Il est possible d'agir et de changer, à condition :
- de comprendre que le destin n'est pas une fatalité ;
- d'avoir conscience que le bonheur est une construction ;
- de savoir comment agir ;
- et surtout
d'agir !
L'amour des parents est le grand socle facilitateur du bonheur : être aimé, s'aimer,
aimer ; être soigné, se soigner, soigner (M.F. COLLIERE). Les carences (pas assez
d'amour) et les maladresses (pas assez de preuves d'amour) affectives rendent vulnérable
par rapport au bonheur : on n'y est pas habitué, d'où l'inquiétude qu'il peut nous
inspirer, et on peut même penser qu'on n'y a pas droit (attitudes autodestructrices).
Comportements des parents et
impact sur les aptitudes au bonheur
de leurs enfants
Facilitant le bonheur : voir souvent ses
parents
|
Compliquant le bonheur : voir souvent ses
parents
|
Se réjouir, se détendre, savourer les
instants de loisirs et de plaisirs
|
Ouvertement inquiets et préoccupés au
point de ne plus être disponibles pour les loisirs et les plaisirs
|
Exprimer clairement qu'on savoure les
instants de bonheur
|
N'exprimer que ses émotions négatives, ou
des propos limitants, lors de bons moments (" ça ne va pas durer
")
|
Dans les instants stressants, rire,
relativiser ou faire de l'humour
|
Se polariser, sans recul, sur les soucis
quotidiens, et n'envisager de profiter de la vie que lorsqu'il n'y aura plus aucun
problème
|
Parler du bonheur à leurs enfants
|
Ne jamais aborder la question du bonheur ou
s'en tenir à des propos pessimistes (" profites-en, car tu perdras vite tes
illusions
")
|
Le couple est bon pour le bonheur, à plusieurs conditions :
- égalité, ou plutôt équité entre les partenaires;
- réciprocité : respect mutuel,
- intimité : basée sur des échanges gratifiants dans les domaines de la
sexualité,
des discussions, des projets et loisirs en communs ;
- utiliser le langage de l'amour adapté : paroles valorisantes ; moments de
qualité;
cadeaux ; toucher physique, tâches (gratuites et
volontaires)
Il est difficile de mesurer le bonheur : vous en voulez deux litres, trois kilos, un
mètre cube ?
Bonheur d'en haut ou bonheur d'en bas ?
Deux regards peuvent être portés sur les rapports du
bonheur et de ses conditions extérieures. Ces deux aspects se complètent :
- Le premier, dit du bas vers le haut, suggère qu'il part du bas, et découle de
l'accumulation des conditions facilitant sa survenue : argent,
santé, amis, etc.
augmentant ainsi ses chances de se sentir heureux.
- Le second, du haut vers le bas, suppose qu'il démarre d'en haut, et n'existe que
si
nos dispositions mentales nous permettent d'apprécier ce qui
nous arrive.
Sans ces dispositions psychologiques, pas de bonheur possible.
Quelques conditions psychologiques au bonheur :
- l'acceptation et l'estime de soi : vivre en amitié avec soi-même ;
- des relations positives aux autres : échanges, diversité ;
- l'autonomie : l'oiseau quitte le nid quand le moment est venu ;
- le contrôle sur l'environnement : soif de connaître, utiliser le libre arbitre,
choisir,
gérer son temps, balisage relationnel, résistance au stress,
stabilité émotionnelle ;
- avoir des buts dans l'existence ;
- être dans un processus de développement personnel.
Différences entre thérapie et
développement personnel
Thérapie |
Développement personnel |
Vise à rétablir un équilibre personnel |
Vise à accroître un équilibre personnel |
Répare ce qui " marche mal "
|
Apprend de nouvelles façons de faire |
Plutôt centré sur des symptômes précis |
Plutôt tourné vers la personne globale |
Les quatre visages du bonheur
|
Bonheur plutôt lié à des causes externes,
bonheur du lien au monde |
Bonheur plutôt lié à des causes internes,
bonheur de l'intériorisation
|
Bonheur plutôt ressenti dans le mouvement |
Bonheur d'action |
Bonheur de maîtrise |
Bonheur plutôt ressenti dans le recul |
Bonheur de satisfaction
|
Bonheur de sérénité |
Le bonheur d'action : lié à la
plénitude ressentie en participant à des événements extérieurs : fête, vendange ;
C'est un bonheur d'action, de lien et de partage, d'appartenance.
Le bonheur de satisfaction et d'aboutissement :
finir, achever ce qui a été commencé. Bonheur lié au recul et à la satisfaction
ressentie grâce à l'atteinte de certains objectifs.
Le bonheur de maîtrise : faire corps avec son
bateau, la nature, lire, jouer, pratiquer un sport, toute forme d'activité où l'on
excelle, bonheur palpable.
Le bonheur de sérénité : prise de distance par
rapport au monde environnant, pour mieux s'en imprégner. Détachement relatif par rapport
à l'environnement, sans pour autant tomber dans la passivité ou le désinvestissement.
Vivre une existence dans laquelle ces quatre types de bonheur se mélangent ou alternent.
Quatre bonheurs, sinon rien !
Dans l'histoire du christianisme, quand la religion chrétienne devient religion d'état,
la notion de salut s'est substituée à celle de bonheur. Le seul paradis imaginable ne
pouvait se situer dans l'existence humaine : il était forcément avant, après, ou
ailleurs
(règle des " 3 A ")
Avant : au Paradis, en Eden..
Après : promesse du Paradis, ce n'est pas pour tout de suite. Chercher,
mais pas maintenant.
Ailleurs : chercher, mais pas ici.
Pour sortir de la " tentation du malheur ", il faut
tenir compte de deux éléments :
- l'un d'ordre émotionnel, c'est la tendance à s'abandonner à la morosité
(humeur triste ) ;
- l'autre d'ordre psychologique, c'est l'amplification des soucis et adversités du
quotidien. Dans ce processus, l'obstacle devient impossibilité,
l'échec déroute,
un incident une catastrophe.
Quelques remèdes pour ne pas se
rendre malheureux
- Réfléchir à des solutions au lieu de ruminer
les problèmes ;
- Ne pas transformer des doutes en certitudes : envisager plusieurs cas de figures,
ne pas retenir que l'hypothèse la plus sombre ;
- Ne pas voir une catastrophe derrière chaque incident ;
- Apprendre la confiance ;
- Surmonter le pessimisme car il entrave le bonheur, il gâche les bons moments, il
s'autovalide : " tu vois, j'avais raison quand je disais que
ça irait mal ",
il fatigue l'entourage ;
- Faire face aux émotions hostiles en renonçant au meilleur des mondes, et en
repensant mes émotions toxiques en termes de finalité : que
m'amènent mes
ricanements ? mes agacements, mes colères ?
- Avoir conscience des trois écarts ou des trois fossés qui peuvent expliquer ma
difficulté à me sentir heureux :
1. un écart trop grand entre mon bonheur
passé et mon bonheur présent,
2. un écart trop grand entre le bonheur
des autres et le mien,
3. un écart trop grand entre mon bonheur
rêvé et mon bonheur réel.
- Faire un bon usage de la plainte : considérer les difficultés qui nous arrivent
comme
des problèmes à résoudre, et non comme des injustices que nous
subissons ;
se rappeler que la plainte doit initier la résolution du
problème et non pas s'y
substituer.
Questionnaire pour évaluer vos
prédispositions éventuelles au bonheur
Le questionnaire ci-dessous se propose d'évaluer vos prédispositions à ressentir des
émotions agréables. Ces prédispositions ne sont pas une " condition "
préalable au bonheur, mais indiquent plutôt dans quelle mesure le terrain est propice à
l'éclosion de ce bonheur. D'autres facteurs entrent en ligne de compte.
Mettez une croix dans la case correspondant le mieux à ce que vous ressentez actuellement
.
|
Plutôt vrai |
Plutôt faux |
1) Je suis souvent de bonne humeur |
|
|
2) Les films, blagues et histoires drôles ne m'amusent
guère |
|
|
3) Je prends facilement du recul face à mes problèmes |
|
|
4) J'aime bien la solitude |
|
|
5) Je me remets vite de mes soucis |
|
|
6) Je suis souvent triste sans raison |
|
|
7) Je suis confiant(e) en l'avenir |
|
|
8) Je suis quelqu'un d'inquiet |
|
|
Comment calculer vos résultats ?
Pour calculer votre nombre de points en fonction de vos réponses, aidez-vous du tableau
ci-dessous : par exemple si vous avez mis une croix dans la case " plutôt vrai
" à la question 1, vous avez 4 points, tandis que " plutôt faux " vous
donne 0 point, etc.
Votre total peut varier de 0 à 24.
|
Plutôt vrai |
Plutôt faux |
1) Je suis souvent de bonne humeur |
|
|
2) Les films, blagues et histoires drôles ne m'amusent
guère |
|
|
3) Je prends facilement du recul face à mes problèmes |
|
|
5) J'aime bien la solitude |
|
|
5) Je me remets vite de mes soucis |
|
|
6) Je suis souvent triste sans raison |
|
|
7) Je suis confiant(e) en l'avenir |
|
|
8) Je suis quelqu'un d'inquiet |
|
|
Comment interpréter vos résultats ?
- Si vous avez obtenu 6 points au moins
: vos prédispositions émotionnelles au bonheur paraissent modestes. Est-ce que cela
correspond bien à votre impression personnelle ? Si oui, il va falloir travailler pour
développer vos aptitudes au bien-être, mais rien n'est perdu. Chez de nombreuses
personnes, l'accès au bonheur se fait souvent de manière progressive tout au long de
l'existence. Si vos difficultés sont trop grandes, vous pouvez vous faire aider d'un
thérapeute, et susciter un moment plus propice.
- Entre 8 et 14 : vos
prédispositions émotionnelles sont moyennes. Vous pouvez faire mieux en prenant le temps
de réfléchir et d'agir, et en considérant votre bonheur comme une des priorités de
votre existence, comme une des constructions à laquelle vous allez uvrer de
manière encore plus résolue.
- Si vous disposez de 16 ou plus
: vous avez hérité de bonnes prédispositions émotionnelles, d'un terrain favorable,
mais qui reste à entretenir. Les fruits récoltés en seront encore plus savoureux q'ils
sont partagés !
Nous partageons l'avis de Jules RENARD quand il déclarait : " Si l'on bâtissait la
maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d'attente ", mais nous
sommes aussi convaincu que chacun peut contribuer à embellir les autres pièces de sa
maison du bonheur !
Jean-Michel MARTIN
|